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La virée à Souk El Khemis en cette matinée d’août n’a rien d’excitant, mais elle s’impose. Bien qu’elle ne soit qu’à 13 km au nord de Aïn Bessem, la daïra de Souk El Khemis, qui ne compte que deux communes, est cependant l’une des plus déshéritées de la wilaya sinon du pays.
En 1977, les premiers cas de choléra étaient apparus à Souk El Khemis avant de s’étendre à toute la wilaya, et en février dernier une manifestation ne devait-elle pas paralyser sa gestion qui fonctionne aujourd’hui cahin caha ? Le transport Aïn Bessem-Souk El Khemis se fait à bord d’un fourgon antédiluvien, aux vitres bloquées et aux sièges usés jusqu’à la corde. La route, passées les plaines fertiles d’El Hamzaouïa (daïra de Aïn Bessem), fait brusquement un coude vers la gauche et commence le défilé des collines schisteuses où ne poussent généralement que les arbres rustiques tels que l’amandier, le figuier et l’olivier. Les quelques chaumes rachitiques de cette région montagneuse, témoignent des maigres récoltes engrangées. Enfin la route amorce une descente et apparaîssent les premières maisons du village, devenu par nécessité administrative, daïra. Le fourgon s’arrête. Le plan du village est simple : au bas du raidillon, quelques commerces, quelques cafés, le CEM et de part et d’autre de la route, le siège de l’APC, le centre culturel, le centre de santé, le bureau de poste, la garde communale, le siège de la daïra, des maisons, tout au plus cinq bâtiments (à l’exception d’un seul, plus ancien) nouvellement habités. La pharmacie ouverte il y a trois mois et la subdivision agricole qui fait face au siège de la daïra, complètent le décor.
La population se rebiffe
Une chose à savoir : les autorités se souviendront toute leur vie durant d’un certain jour de février de l’année en cours. Dépitée du fait des conditions de vie difficiles, la population s’était soulevée ce jour-là pour crier son refus d’une gestion qu’elle juge défaillante, laxiste, arbitraire, corrompue. La fronde a eu pour point de départ le mécontentement provoqué par l’augmentation du tarif décidée par les transporteurs publics. De 15 DA, la place est passée à 20 DA. Cela qui a mis le feu aux poudres. Barricadant la route et mettant le feu à des pneus, la foule d’émeutiers ne s‘était calmée que vers le soir, après qu’on a répondu favorablement à ses revendications. Parmi ces dernières, il y a le départ du chef de daïra, du secrétaire général de l’APC, de deux filles recrutées à la daïra dans le cadre de l’emploi de jeunes alors qu’elles ne sont pas de la commune, ni de la daïra et enfin de la vétérinaire de la subdivision agricole. Les plus excités des manifestants ne désarmèrent pas pour autant. Assiégeant la daïra, ils ne cessaient d’en bombarder les locaux de toutes sortes de projectiles. Insulté, blessé, le chef de daïra, qui s’ était retranché dans son bureau, n’a pu être soustrait à leur vindicte que grâce à l’intervention de la Gendarmerie. Conséquence : la daïra est gérée aujourd’hui à partir d’un bureau au sein du siège de la wilaya.
Problème d’eau
Néanmoins, aujourd’hui, du tableau que certains habitants brossent de la situation, ressort une absence d’écoute attentive à leurs préoccupations. Au sujet de l’emploi, un jeune montre de l’autre côté de la route le mur de clôture du CEM, hérissé d’aspérités : « Qu’on nous le rende plus lisse au moins pour qu’il ne nous blesse pas quand nous nous y adossons, c’est tout ce que nous demandons. » Rires. « Vous voulez savoir comment je gagne ma vie ?... En vendant de la limonade », dit Hamid, ingénieur-architecte. « Ils sont plus d’une dizaine de diplômés universitaires à se tourner les pouces », confirme un autre jeune. Et l’emploi de jeunes, à quoi sert-il ? « Trimer toute la journée pour qu’au bout du compte on touche 2000 DA en 5 mois ? Très peu pour moi », rétorque un jeune homme. Pas de structure sportive ou de loisirs, mais cela n’est rien pour les habitants par rapport à l’AEP qui constitue un véritable calvaire. « Je fais plus de 3 km à pied pour aller chercher de l’eau d’un puits », nous confie un autre jeune homme. Un commerçant nous montre un seau où l’eau a séjourné pendant deux jours, la décantation n’ayant pas pu s’opérer, le liquide a conservé son aspect trouble. De l’avis de tous, l’eau n’est distribuée qu’un jour sur deux et jamais plus de dix minutes.Et en plus, dans beaucoup de foyers, l’eau n’arrive pas. L’APC y remédie au moyen de citernes que le consommateur paye 2000 DA le trimestre ! L’autre grand problème a trait à la santé. Il y a bien un centre de santé, mais selon nos jeunes interlocuteurs, le service laisse à désirer. « On ferme le centre à 12h », dira un habitant. Un autre nous montre sa carte de diabétique du type 1 avec la mention « évolution limite ». « Je n’ai plus de médicament et on ne m’en donne pas ici », se plaint-il. Un troisième exhibe son pied blessé bandé d’un pansement neuf : « On m’a dit qu’on n’a plus de pansement, on m’a dit aussi d’aller acheter ça à la pharmacie d’en face. » Et il nous invite à aller vérifier ses propos au centre.
Responsables injoignables
Nous nous sommes heurtés au refus de communiquer de son responsable, qui aurait reçu sûrement des consignes de ses supérieurs hiérarchiques. En revanche, nous avons pu vérifier l’exactitude des dires des jeunes à propos du centre culturel. Nous avons pu visiter le centre. Dans les salles de jeux et de projection, trônent un micro en panne depuis plusieurs jours, un billard et une table de tennis sur laquelle deux jeunes se disputaient une partie. Nous passons à la bibliothèque qui ne devait jamais servir en tant que telle, sinon pour des cours de dessin aux écoliers ; leurs productions personnelles tapissent les murs. Les 300 ouvrages recensés traitent tous de l’histoire et de la science. En plus, ils sont en langue française. Pour une jeunesse peu formée dans cette langue et en quête de loisirs, on comprend qu’on ne se bouscule pas au portillon du centre culturel.
El Watan > Ali Douidi > 21 août 2004
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